Préambule de l'opuscule d'une vie [Terminé]

Les songes me rongent et filent tels des aérolithes. Je me laisse bercer par la sirupeuse mélopée qui caresse mes tympans et ferme les yeux pour en apprécier chaque note. Un sourire éclaire ce visage endormi alors que je plonge.

Je me retrouve seule dans le macrocosme, les affres me submergent et je me rends compte que j’aurai beau appeler à l’aide, personne ne sera là pour m’étayer. Des craquements se font autour de moi, des chaînes me retiennent et je m’enlise dans mes Saturnienne frayeurs. Je tends ma senestre, je me sens partir, je ne vois plus rien, quand je la sens attraper une bride. Je sens que l’on m’extrait de cette dangerosité et je croise le regard de mon destrier.
Les perles nacrées trahissant mon soulagement montent, je ne suis pas seule dans toute cette nébulosité.
Je me blottis contre son poitrail puissant et chaud alors que sa tête se repose sur mon épaule dans un geste de protection. Je me mets à sourire et tout mon univers devient coloré. Les plaines sont désormais mordorées et l’eau coule à flots en cascade. Des petits animaux gambadent et au loin, tapis dans l’ombre et hésitants, je remarque certains monstres qui peuplent désormais notre monde.
D’un saut me voilà sur le dos de cet étalon, son ébène contraste dans ces champs de blés et nous filons au rythme du vent vers ces « abominations ».
Le contraste est puissant là où ils sont, tout semble putride et marécageux. Je décide de descendre et m’approche de cette frontière sans vie et en pleine dégradation.
La venette m’accable, mais le désir d’aider est tout aussi fort. Je ferme les yeux, me concentre et créé un ruban d’ondes d’un éclat pur et emplie de vie.
Je m’engage alors sur cette route d’eau direction les enfers. Mon envie d’aider me fait tendre la main vers ces créatures en murmurant :

- Approchez, vous faites désormais partie de ce monde… Nous vous accepterons tels que vous êtes… Peu importe votre dangerosité, vous avez le droit de vous approcher… L’homme ne peut pas toujours être au plus haut de l’échelle alimentaire… Il faut désormais accepter que nous ne soyons plus les tous puissants… Pour autant, on ne se laissera pas tuer si facilement.

J’ouïs alors une voix au loin. Celle de ma mère, en me tournant je trébuche et tombe. Je l’entends soupirer dépitée et me regarder avec dédain. Je me redresse de toute ma hauteur puis m’approche d’elle droite, le regard froid, arme à la main. Tout tourne autour de moi et devient désert de glace. Je sens une aura meurtrière approcher et je la tranche sans même sourciller tout en continuant ma marche vers ma maternelle, désormais couverte d’un sang qui n’est pas le mien… Alors qu’elle sourit fière de moi... Dans son fauteuil roulant je la toise, hautaine et lui susurre.

- Ta faiblesse d’esprit me fera toujours pitié…

Je lui souris finalement avec tendresse et l’endroit de mon palpitant s’illumine… Un rosier sans épine transperce mon cœur et de douces couleurs reviennent alors que je me penche et murmure. Ne t’inquiète pas maman, je ne t’en veux pas et je vous protégerai en gardant le sourire, pour ne pas laisser mon mental s’affaiblir… C’est là ma plus belle force.

Dans un flash blanc, je me retrouve éblouie.
J’ouvre vivement les yeux et me redresse pour voir ce qu’il en est et reconnaît facilement ma chambre.

Je suis née un 21 février 2150 sous la constellation du poisson.
De ce que j’ai cru comprendre, mes parents étaient très fiers de leur nouveau-né, bien que ma mère aurait préféré un fils, pour être sûr qu’il suivrait ses pas.
Enfin à la place, elle avait une petite tête blonde qui la regardait avec des yeux rieurs et un grand sourire.

Je pense qu’on peut dire qu’elle était touchée par la petite créature vivante entre ses bras. Mon père quant à lui ne cessait de pleurer, si heureux, touché et comblé par sa radieuse petite fille.
J’ai été à l’école comme tout le monde, j’étais d’une maladresse déconcertante et on s’est même demandé si je n’avais pas de trouble moteur. Mon père était inquiet mais trouvait cela particulièrement mignon, alors que le contraire se manifestait chez ma génitrice, mais c’était encore assez peu prononcé.
Elle grinçait simplement des dents dira-t-on à l’époque.
J’adorais depuis les enfants et j’avais la chance d’avoir un papa toujours au domicile pour me cuisiner que des bonnes choses et surtout du sucre.

Conclusion des choses ? Durant cette période j’ai pris énormément de poids. J’ai commencé à ne plus amuser les autres par l’innocence de ma maladresse mais à attirer les railleuses moqueries de mes camarades… Je pouvais facilement ouïr leurs propos, qui laissaient entendre que je tombais et percutais le sol suite à la gravité enclenchée par mon poids. Je pleurais beaucoup à cette époque et si mon papa me prenait tendrement dans ses bras, ma maman s’éloignait de moi et me regardait dédaigneuse telle un vulgaire moustique lui tournoyant autour. Je ne voulais pas changer ni me priver, j’aimais profiter de la vie et de ce qu’elle m’offrait et ne comprenais pourquoi c’était incompatible avec le bonheur d’être accepté par autrui.

À mes 8 ans, la violence psychologique avait atteint chez moi un point de non-retour. J’étais à fleur de peau, j’étais pleine de colère envers le monde et repoussait quiconque s’approchait de moi. J’en voulais à ma mère pour ne jamais être là et être tout le temps au travail et me délaissais donc… J’en voulais à mon père d’avoir été trop bon avec moi ce qui m’affubla du surnom de petit cochon. J’en voulais à mes camarades de m’ostraciser pour la simple et unique raison que mon poids les répugnait. C’est à ce moment que j’ai décidé de m’isoler au plus possible.
Heureusement pour moi, la maison longeait l’élevage des chevaux et j’ai donc décidé d’y passer une bonne partie de mon temps.
J’aime observer longuement ces êtres majestueux et j’arrive à très bien m’entendre avec eux… Même les plus réticents. Sûrement parce que ces derniers le sont devenu suite à des blessures internes qu’ils ressentaient à l’instar de moi.
Mes parents cèdent et me payent des cours d’équitation. Je progresse vite et il s’avère que j’ai de bonnes prédispositions et mon papa venait souvent me voir, fier de me voir vivre et rire de nouveau.

À mes 12 ans il convie ma mère à l’une de mes séances lors de son day off pour venir voir les progrès de sa fille. Je ne saurai dire ce qu’elle a vu en moi à cet instant, mais pour la première fois je voyais ses yeux pétiller de joie. Elle m’observait et me voyait telle que j’étais et je ne pouvais être plus comblée qu’à cet instant. J’avais la reconnaissance d’une personne qui ne me percevait que comme une tare.
Elle vint me prendre à part pour me demander de suivre un entraînement avec elle et ce n’était finalement pas une proposition quand elle vint m’avertir de l’arrêt de l’équitation si je n’acceptais pas et de la promesse d’un cheval si je le faisais.

J’ai donc rejoint la voie du combat suite à cela. J’étais pour ainsi dire très mauvaise. Je n’avais pas de le physique d’une athlète comme dit plus tôt et je tombais beaucoup. Je mangeais toujours autant et la pression infligée me donnait un stress encore plus important qui lui aussi me faisait prendre encore plus de poids…

Résultat des courses ? Plus le temps passait, plus j’étais inquiète, plus je grossissais, plus je me faisais disputer et stressais donc.
Dépitée, ma mère me demanda de faire un régime strict. Je le suivais à la lettre, mais la pression psychologique continuait de me faire enfler et donc les accusations de cette dernière insinuant que je mangeais dans son dos aggravait les choses.

Mais cela n'était pas encore le comble de mon chamboulement car un jour, alors que je prenais un bain, un étrange phénomène s'opéra. L'eau se mouvait tout autour de moi. Je me sentais impuissante et avais l'impression que tout m'échappait. Je sortis hors de l'eau le plus rapidement possible et hurla avec force. Mes parents arrivèrent alors que l'eau tournoyait encore autour de moi et éclaboussait la serviette dans laquelle je m'étais réfugiée.

Mon père hurla de surprise alors que ma mère fut la plus rationnelle, habituée à voir des étrangetés avec son travail. Elle s'approcha de moi et posa une main sur ma tête dans un signe de réconfort. Elle demanda à mon père de se calmer et de s'éloigner en voyant l'eau s'intensifier à sa panique. Elle me demanda de me concentrer et de penser à l'entraînement. Cette manière de me couper de tout pour me concentrer et en le faisant, tout redevint normal.

On ne tarda pas à recevoir la visite du gouverneur... J'étais effrayée et mal à l'aise de me montrer telle que j'étais face à lui... Et s'il me reprochait d'être disgracieuse et ne pas mériter un tel pouvoir ?... Je n'y pouvais rien si je n'avais pas le physique d'un héro.
Rien de tout cela ne se produisit, il déclara seulement : "Le poisson s'est éveillé et il lui faut de l'aide pour contrôler ses pouvoirs."

Il prit donc du temps pour moi, mais ma perturbation psychologique n'aidait en rien. C'était difficile et même s'il était patient, me concentrer convenablement me demandait beaucoup d'effort. Je me disais que si je n'avais pas ce physique, cela serait plus facile.

J’ai donc commencé donc à être anxieuse à propos de la nourriture et à devenir orthorexique en plus de me faire vomir après chaque repas et abuser de mes pouvoirs, me mettant en danger pour paraître mieux.
Désormais je savais donc utiliser mon pouvoir, mais j'en faisais usage de la mauvaise manière.

J’ai commencé à m’enfermer dans un épisode dépressif où je ne faisais que surveiller mon alimentation, faire du sport, me faire vomir, m’infliger des sévices et dormir.
Mon père n’osant pas trop s’imposer et me pensant plus heureuse avec cette corpulence me laissait faire jusqu’à découvrir un jour des traces de scarifications. Il n’osa pas se jeter sur moi pour me réprimander et préféra donc m’observer avec attention. Il remarqua que j’attendais qu’ils soient loin pour me faire vomir et un jour il me demanda d’enlever mon pull, ce que je ne faisais plus jamais, gardant des vêtements très larges et grands pour moi.

Je me suis exécutée après une dure bataille verbale entre lui et moi et constatai avec effroi ce qu’avait osé faire les sévices psychologiques et le harcèlement de sa femme sur sa fille.

Il passa la nuit avec moi ce soir-là et on échangea sur beaucoup de choses. Sur ce que je voulais faire plus tard, comment je me sentais dans ma peau. Comparé à mes 10 ans, comment je me trouvais ? Si je me rendais compte du danger dans lequel je me mettais en agissant ainsi ? De l’inquiétude que j’avais provoquée chez lui à ne plus me voir sourire ni manger ce qu’il préparait ? Si j’étais toujours impactée par le regard d’autrui ? Si je désirais et acceptais d’avoir un suivi psychologique pour trouver un juste-milieu équilibré et qui me rendrait heureuse d’un point de vue poids et psychologie.

Le lendemain il alla voir ma mère qui n’était pas rentrée à son lieu de travail et ordonna qu’on l’appelle dès son retour de mission. Cette dernière se dépêcha, inquiète pour son mari qui venait et la faisait appeler ainsi sur son lieu de travail. Ils s’isolèrent et il explosa de colère, lui racontant toutes les découvertes qu’il avait fait sur leur fille à cause de son tempérament trop rigide.
Pour la première fois de sa vie, la « grange gueule qu’était ma mère resta conne ». Elle partit du travail sous le ton autoritaire de son mari pour la forcer à aller voir sa fille et s’excuser d’avoir confondu cette dernière avec un bon petit soldat.

Elle remarqua alors ce qu’elle avait fait ou plutôt, fut forcée d’ouvrir enfin les yeux vu qu’on ne lui laissa plus le choix. Elle décida donc de s’excuser maladroitement et de m’offrir mon cheval pour honorer sa promesse.

Cela prit un peu de temps avant mon coup de cœur et ce dernier s’attarda sur un poulain noir au caractère exécrable suite à un sevrage trop jeune… Puis un oubli dans le champ. Ce dernier ne voulait pas qu’on l’approche et n’était de toute façon pas encore montable au vu de son jeune âge, mais c’était lui et pas un autre… Je ressentais une profonde connexion entre nous deux.

C’est donc avec un bon début d’année que je me suis mise à aller voir une psy en parallèle d’observer mon poulain. Les entraînements continuaient mais étaient bien moins spartiates et j’étais plus détachée grâce à l’aide psychologique que je trouvais avec mon papa et mon thérapeute.

Tout allait pour le mieux jusqu’au jour où je reçus une missive. Elle indiquait que ma mère se trouvait actuellement à l’hôpital car suite à une mission qui avait mal fini, elle était désormais paraplégique. Je sus et compris l’horreur que ça représentait pour elle et la femme active qu’elle était de passer de lieutenant à retraitée.

À son retour, elle voulut reprendre les entraînements, mais elle ne supportait plus la moindre erreur. Elle devenait revêche, me hurlait dessus si je tombais ou encore critiquais ma manière de m’habiller ou mon physique.

Ce fut dur pour moi et je me suis ainsi confiée à ma psychologue. Cette dernière m’expliqua qu’il ne fallait pas que je prenne ces remarques à cœur, car elles étaient en fait dédiées à elle-même. Elle ne supportait pas de me voir tombé, car c’est ce qui avait provoqué sa perte. Elle exécrait mon physique, car cela lui rappelait ce qu’elle avait perdu et elle savait qu’elle risquait de perdre du muscle et prendre du poids, tout ce qu’elle m’avait reprochait avant. Et si elle détestait mon code vestimentaire, c’était parce qu’elle avait tout fait pour devenir et ressembler physiquement à un homme pour pouvoir s’intégrer à ce monde violent et masculin selon elle, alors que pour le moment, moi je semblais très bien allié les deux et ne voyais pas le souci d'être une femme à l'armée… Et si elle détestait mon sourire, c’était parce qu’elle n’arrivait pas à être aussi forte que moi qui avais réussi à me battre contre mes démons et à m’en sortir, alors que de son côté, l’aigreur avait pris place.

Tout ceci fut une révélation pour moi et me libéra d’un poids énorme. J’ai donc continué à travailler avec elle, mais sans me préoccuper de ses dires. Je m’entendais de mieux en mieux avec mon petit monstre et commençais le travail à pied et je me suis réellement libérée d’un poids.

Le temps est passé, à mes 18 ans j’ai décidé de me faire tatouer aux endroits où je m’étais scarifiée pour faire disparaître les blessures passées, mais aussi les mettre en valeur à ma manière et marquer le renouveau.
J’ai découvert que le sourire était ma meilleure arme et que me couper de tout pendant le combat était ma meilleure défense.

Les années ont passé, j’ai finalement eu la validation de ma mère à 23 ans pour rejoindre les rangs de novice. J'étais douée à la grande surprise de mon entourage et ma bonne humeur détonait dans cet environnement hostile... Mais si au début mes compagnons étaient sceptiques, je devins rapidement un vent frais dans les rangs.
De plus je montais désormais régulièrement mon fidèle destrier et son sale caractère me faisait vibrer au plus haut point. J’étais une femme accomplie avec la puissance de sa mère et la douceur de son père, je pouvais donc certifier que j’étais devenu la meilleure version de moi-même.

J’étais qui j’étais et ce que je voulais être. Une fille tendre avec ses maladresses, son amour pour les sucreries et un esprit vif et aiguisé pour rester en vie lors des combats…

21/02/2150 Naissance
2158 Elle a l’impression d’être rejetée par le monde et rejette donc tout le monde.
2162 La mère réalise que sa fille n’est pas une cause perdue et commence son entraînement.
Fin 2163 Ses pouvoirs s'éveillent.
Début 2164 Début de l’orthorexie sévère.
Fin 2164 Le père réalise l’état de sa fille.
Début 2165 Elle trouve le poulain parfait.
Fin 2166 Sa mère est grièvement blessée lors d’une mission et perd l’usage de ses jambes.
2168 Elle se fait tatouer.
2173 Elle postule pour rejoindre les rangs avec sa monture.