Le silence est long, mais pas aussi lourd que les précédents, comme si un ange avait décidé de leur accorder un peu de clémence pour le temps présent. La carmine s'accoude à une solide pile de livres qui atteint juste la bonne hauteur pour lui permettre le geste, peu soucieuse du risque inhérent que cette dernière s'effondre et mette un peu plus de bazar dans la pièce. Le sourcil froncé par l'inquiétude de voir sa demande soufflée, elle se contente d'observer la neigeuse qui se lève à son tour pour rejoindre la machine à café, se retournant par réflexe pour ne pas quitter un seul instant son dos du regard. L'obscur liquide coule bruyamment pour remplir la seconde tasse toujours prévue au cas où, ayant tout juste le temps de cracher ses dernières gouttes avant que son invitée ne s'empare du récipient et le vide en trois gorgées rapides.
Bien malgré elle, Aethel esquisse une grimace aux mots qui suivent. Ce ne sont pas les plus gracieux qui soient, mais ils ont le mérite d'être clairs et, d'une certaine façon, valides. Ayant été à la place de son interlocutrice, elle ne peut que comprendre le dilemme que peut représenter une étude scientifique menée sur sa propre personne. Là où elle ne peut en revanche pas s'imaginer à la place de la demoiselle, c'est bel et bien en matière de pouvoir - le sien étant cantonné à un être, une zone bien délimitée, là où celui d'Inanna est plus étendu et, de fait, plus dévastateur.
« Si ça peut vous rassurer, personne ne m'a parlé de la possibilité de vous ouvrir en deux. »
Encore qu'elle connaisse certaines personnes qui seraient capables d'aborder le sujet sous cet angle, mais… Pas le Dr. Thompson. Tout du moins, pour ce qu'elle en sait, ne connaissant pas le scientifique de façon personnelle et ne pouvant se baser que sur des bruits de couloirs, en partant du principe qu'il serait très mal placé de commencer une entrevue avec une cage et un scalpel.
« Au mieux, vous pouvez vous attendre à des questions pointues sur votre pouvoir et votre maîtrise de ce dernier. Au pire, à une démonstration. Essayez juste de ne pas détruire la ville, aussi déplaisante vous soit-elle. »
La sorcière se laisse scruter sans bouger, se contentant d'ajuster la veste de son tailleur pour rattacher un bouton s'étant fait la malle lorsqu'elle faisait ses allers et venues de son bureau à sa locutrice. Cette fois-ci, elle n'esquisse pas de mouvement de rapprochement, se contentant de pencher la tête sur le côté pour observer le Taureau avec une certaine curiosité, lèvres entrouvertes sur un souffle léger. Que peut-elle bien avoir en tête lorsqu'elle la voit ? Du dégoût, à n'en pas douter. Après tout, il n'existe qu'une harpie pour la menacer du destin de son chien entre les remparts d'Aurora. Bien sûr, elle n'ira pas lui avouer qu'elle serait bien incapable de mettre Elf dehors. Et pourtant, ce n'est pas ce qu'elle voit dans les ambres qui la regardent de bas en haut, de haut en bas. De la désillusion, peut-être ? La neigeuse ne veut plus croire en rien, ni en personne, et Aethel se surprend à la comprendre.
Mais son regard se détourne, retournant à la fenêtre de laquelle on peut voir l'hôpital ainsi que, plus haut et plus loin, les remparts. Une nouvelle grimace s'empare du visage de la rousse tandis qu'elle prend conscience du fait que l'emplacement destiné aux blessés n'est pas le meilleur s'il faut un jour défendre la ville, chose qui pourrait arriver plus vite que prévu.
« Presque autant que tout le monde. » commence-t-elle, hésitante.
Non, la vérité, c'est qu'elle en sait plus. Pas beaucoup plus, mais juste assez pour s'inquiéter davantage encore. Mal à l'aise, la rouquine s'empare de sa tasse vide et s'en va la remplir à son tour, jetant un coup d'œil à Inanna tandis que le liquide coule dans le récipient.
« Est-ce que ça vous inquiète ? »
Le ton est bas, de telle façon qu'il se perd presque dans le bruit de la machine à café vétuste. Une fois la tasse prête, Aethel la reprend en main et s'en réchauffe les paumes, reniflant l'odeur du liquide sombre tout en fermant brièvement les yeux. Les paroles de Baal la hantent toujours. Une créature capable de communiquer et devant laquelle la première ligne de défense d'Aurora a préféré faire demi-tour plutôt que d'engager le dialogue ou le combat. Après un long soupir et une gorgée de son café, l'assistante reprend sur un ton un peu plus fort :
« Je ne vais pas vous mentir, parce que je sais que vous n'ébruiterez pas les faits aux quatre vents. » Regard en coin, comme pour la mettre en garde. « Si j'en crois ce que j'en ai entendu, cette… chose… est dotée d'intelligence. Assez pour, semblerait-il, contrôler d'autres monstres. Assez pour s'exprimer. »
Et donc assez pour ne pas venir jusqu'à Aurora sans but derrière la tête, tout du moins est-ce la conclusion à laquelle la garde-du-corps est arrivée. Cela dit, la carmine doute sincèrement de pouvoir engager la conversation avec la créature pour lui demander les raisons de sa venue si réellement elle en vient à atteindre les limites de la ville. Il y a aussi toute cette histoire concernant Litora, qu'elle devra voir avec l'officier Haredin au plus tôt - trop de similitudes, trop de pistes à explorer pour s'assurer d'être un minimum prêts lorsque le ciel leur tombera sur la tête.
« Restez sur vos gardes. C'est mon seul conseil sur le sujet. »
Et même là, elle doute que ça suffise.
Aethel Leiner
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Aethel Leiner
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Aethel Leiner
Sam 20 Mai - 18:11
L'or caresse l'horizon longiligne des remparts. Ina' juge tout ce qui se trouve à l'intérieur de l'enceinte mais ne niera pas que ces murs la rassure, elle aussi. Pourtant ils devraient le savoir, l'avoir appris, les murs, aussi hauts et épais soient-ils, finissent tous par tomber. Leur oasis de sécurité au milieu d'un désert de ruines et d'ombres, n'était peut-être qu'un mirage. Leur petite société, une hallucination collective, une illusion à laquelle ils choisissaient de croire pour ne pas sombrer avec le reste de leur monde.
Ils s'accrochaient à un fantasme, celui de vivre comme leurs ancêtres, dans le confort et la sécurité, oubliant le reste du monde pour ne se concentrer que sur eux-mêmes. C'étaient les mots du gourou que sa famille avait choisi de suivre, dix-sept ans plus tôt. Cette ville était le vestige d'un temps révolu, ses habitants vivaient dans l'aveuglement et comme leurs ancêtres, ils répéteraient les mêmes erreurs. Se séparant du monde, traçant des frontières entre eux et la nature, refusant la réalité, rejetant l'inconnu. Les péchés des pères de l'humanité.
Avaient-ils fait mieux une fois dehors ? Prêts à accueillir le monde tel qu'il était devenu, prêts à s'adapter et à évoluer. Prêts, vraiment ? Ils avaient bien compris qu'ils n'étaient plus les maîtres de ce monde, ils avaient été humbles et respectueux, ils avaient embrassé cette nature sauvage, ils avaient essayé d'évoluer... Et la voilà de retour au coeur d'Aurora. Seule à la case départ.
La nature avait évolué, leur environnement avait changé mais, pas eux. Ce monde en avait peut-être ras le bol des humains ? Elle pouvait le comprendre.
La machine à café ronronne alors que la carmine demande à la démone si elle est inquiète. Ina' esquisse un mouvement négatif de la tête, ce n'était pas de l'inquiétude. Non, si un malheur devait arriver, elle serait prête. Parce que cet endroit n'était pas sa maison, parce que ces gens ne seraient jamais sa famille, parce qu'elle n'avait plus rien à perdre, elle ne craignait rien de ce monstre de plus. Elle n'était pas inquiète, elle était curieuse. Ina' sent les yeux mordorés de la sorcière piquer sa nuque alors qu'elle l'enjoint à la discrétion, avec qui irait-elle répandre des rumeurs ?
Le monstre est capable d'en contrôler d'autres, il est capable de communiquer, il est intelligent. Etait-ce toujours un monstre ? Si la surprise cours dans les prunelles de la blanche, cette dernière reste tournée vers l'horizon. Elle se remémore ses pensées, sur le terrain d'entrainement, l’ambiguïté de sa fidélité à cet endroit. Si cette chose était capable de parler...
- Vous..
Avait-elle vraiment envie de poser cette question ? À sa sorcière qui plus est ? L'or se détache de l'horizon, le menton se tourne, la démone dévisage la rouge.
- .. vous êtes déjà demandé si vous n'étiez pas plus proches des monstres que des humains ?
Les mots quittent ses lèvres avec une étrange innocence, une honnêteté dénuée, pour une fois, de son habituelle acidité. Cela pourrait aisément être pris pour une provocation, une insulte même, pourtant le ton n'était pas acerbe. Inanna tournait lentement le dos à l'horizon, appuyant ses omoplates contre les carreaux dans lesquels elle voulait sauter depuis qu'elle était entré dans ce bureau. Finalement, elle était resté. Finalement, elle s'en détournait, pour regarder cette femme qui tenait entre ses mains la chaine rouillée, malmenée, de son humanité.
- Lorsque ma famille a quitté Aurora, elle pensait que cette ville était une aberration, une relique d'un temps obscure où les humains se pensaient hors de la nature, supérieurs, différents. Notre leader nous enseignait qu'il fallait que les humains évoluent, comme les animaux, comme notre environnement.
C'était la première fois depuis longtemps, peut-être même depuis qu'elle était revenue, qu'elle parlait de cela. Ce n'était pas un secret. Cela n'intéressait seulement personne. Ou bien était-ce ce qu'elle avait décidé. La démone détache son regard de la carmine, parcourant sans vraiment le voir, le bureau de l'assistante du gouverneur.
- Peut-être que les étoiles n'ont pas choisi des humains mais des êtres vivants. Indifféremment de ce qu'ils étaient. Ce monstre.. c'est peut-être un treize. Une autre forme d'évolution ou de mutation.
Est-ce qu'elle comparait les douze à des mutants ? Oui. C'est ce qu'ils étaient. Des monstres à part entière qui n'avaient que l'avantage sur les autres de ressembler à des humains. Quoi que.. était-ce vraiment un avantage ?
- Ou c'est le croquemitaine qui vient dire qu'il est temps de laisser la place.
Les humains avaient fait leur temps. Ils avaient eu leur chance. L'ère des monstres naîtrait de leurs cendres. Les mots acerbes se teintent subrepticement d'une ironie macabre mais Ina' ne sourit pas. Et si ce monstre était vraiment leur évolution ? Ce qu'elle deviendrait, une fois sa chaine brisée. Elle avait envie de lui parler.
- On devr..
Les mots se tordent et la démone se mord la langue, feint de tousser et se tourne à nouveau vers l'extérieur, dos à la sorcière, silencieuse et tendue.